Un tableau, une Histoire [n°14]
Les Noyades de Nantes en 1793 de Joseph Aubert (1882, huile sur toile, 400 x 500 cm, musée des beaux-arts de Nantes)
La Vendée et la Bretagne étaient majoritairement peuplées de paysans très catholiques vivant dans des territoires ruraux lorsque survint la Révolution à laquelle ils étaient globalement favorables. La Constitution civile du clergé, adoptée par l’Assemblée constituante le 12 juillet 1790, suscite une franche hostilité dans ces régions : plus de 80 % des prêtres refusent de jurer fidélité à leur nouveau statut et un grand nombre d’entre eux se fait donc arrêter, ce qui attise les tensions. Manquant de prêtres, l’exercice de la religion se fait alors dans la clandestinité. Ces populations souffrent du prix toujours plus cher des denrées qui contribue à l’augmentation de la misère.
En Février 1793, les assignats, billets représentant une part des bien nationaux (les biens de l’Église confisqués sur tout le territoire) afin de faire rentrer des masses de monnaie dans les caisses vides de l’État, ont perdu la moitié de leur valeur et l’écart se creuse entre le coût de la vie et la rémunération du travail. Les bourgeois des villes, eux, se sont considérablement enrichis du commerce de ces assignats. Cette bourgeoisie détient maintenant le pouvoir économique et politique et encourage la Révolution et ses idées. Les paysans sont donc maintenant beaucoup plus hostiles à ces nouveaux riches qu’à leurs anciens seigneurs. La Convention, manquant de soldats, décrète une levée en masse de 300 000 hommes dans la population. Les paysans vendéens, déjà échaudés par l’exécution du roi et maintenant de plus en plus hostiles à la Révolution, s’opposent à cette levée en masse et prennent les armes contre les républicains. Commencent alors les guerres de Vendée.
Les paysans, sans expérience du combat et mal équipés, vont se chercher des chefs de guerre expérimentés auprès de roturiers mais aussi de nobles. Cette armée devient l’armée Catholique et Royale et compte environ 40 000 hommes indisciplinés et sans expérience militaire. La « Vendée militaire » comprend alors plusieurs départements de l’ouest de la France. De terribles batailles firent rage avec quelques succès vendéens. Le 1er août 1793, un décret de la Convention alors sous le régime de la Terreur, ordonne la destruction et l'incendie de la Vendée en état d'insurrection. Elle envoie 100 000 soldats expérimentés et commandés par de grands généraux comme Kleber dans ces régions insurgées et veut maintenant totalement anéantir la Vendée. On supprime officiellement le nom de Vendée pour le remplacer par celui de Vengé (le vengeur étant le surnom du bourreau qui officiait à la guillotine).
A Nantes, en Septembre 1793, est envoyé Jean-Baptiste Carrier, député du Cantal déjà connu pour ses répressions en Normandie. Il y forme une police politique et un corps d’hommes extrémistes appelés Compagnie Marat ou « Hussards américains » du fait de la présence dans leurs rangs d'anciens esclaves noirs de Saint-Domingue qui multiplient les exactions. Dans une lettre au général Haxo il écrit : « Il vous est ordonné d'incendier toutes les maisons des rebelles, d'en massacrer tous les habitants et d'en enlever toutes les subsistances ».
Les exécutions de masse par noyades commencent avec la noyade de 90 prêtres réfractaires. Elles continuent de jours en jours, noyant prêtres et prisonniers. Les prisonniers vendéens, hommes, femmes et enfants (capturés suite à la Virée de Galerne), souvent dépouillés, sont entassés sur de vieux chalands à fonds plats dans lesquels des trappes ont été sciées, une fois poussés au milieu de la Loire, les trappes sont ouvertes et les chalands coulent, entrainant avec eux les prisonniers ligotés, ce que Carrier appelle la « déportation verticale ». Carrier s’amuse aussi des « mariages républicains » qui consistent à attacher ensemble un homme et une femme, nus, et à les jeter à l’eau. Il aime à qualifier la Loire de « fleuve républicain ». Les noyades font environ 4 860 victimes, les fusillades environ 3 600.
Au total, sur les 12 000 à 13 000 prisonniers, hommes, femmes et enfants, que compte la ville, 8 000 à 11 000 périssent, dont la quasi-totalité des prisonniers de l'entrepôt des cafés. La grande majorité des victimes sont des Vendéens, on compte aussi des Chouans, des suspects nantais, généralement girondins ou fédéralistes, des prêtres réfractaires, des prostituées, des droits communs, ainsi que des prisonniers de guerre Anglais et Hollandais. Le député Jullien de Paris dénonce à maintes reprises les agissements de Carrier à la Convention, jusqu’à ce que celui-ci soit rappelé à Paris en Février 1794.
Les massacres dans l’Ouest insurgé continuent avec l’envoie de « Colonnes infernales » destinées à tout bruler, détruire et à exterminer les vendéens, rebelles comme population. Le général Westermann resté célèbre comme « Le boucher de la Vendée » écrira en 1793 au Comité de salut public une lettre contenant le passage suivant :
« Il n’y a plus de Vendée. Elle est morte sous notre sabre libre, avec ses femmes et ses enfants. Plus de Vendée, citoyens républicains, je viens de l’enterrer dans les marais et dans les bois de Savenay, suivants les ordres que vous m'avez donnés [...]. J’ai écrasé les enfants sous les sabots des chevaux, massacré les femmes qui au moins pour celles-là n'enfanteront plus de brigands. Je n’ai pas un prisonnier à me reprocher, j’ai tout exterminé. »
Le général Turreau annonce ses objectifs : « Il faut exterminer tous les hommes qui ont pris les armes, et frapper avec eux leurs pères, leurs femmes, leurs sœurs et leurs enfants. La Vendée doit n'être qu'un grand cimetière national ; il faut expulser de son territoire les Royalistes non armés, les Patriotes tièdes, etc., et couvrir ce pays du plus pur de la Nation. Repeuplez-le de bons Sans-Culottes »
Il fait part de son interrogation à la convention par ces mots : « Mon intention est de tout incendier, (…) mais cette grande mesure doit être prescrite par vous. Je ne suis qu’un agent passif. (…) Vous devez également vous prononcer d’avance sur le sort des femmes et des enfants. S’il faut les passer tous au fil de l’épée, je ne puis exécuter une pareille mesure sans un arrêté qui mette ma responsabilité à couvert. »
A quoi il obtient la réponse : « Tu te plains, citoyen général, de n’avoir pas reçu du Comité une approbation formelle à tes mesures. Elles lui paraissent bonnes et pures, mais, éloigné du théâtre d’opération, il attend les résultats pour se prononcer. Extermine les brigands (contre-révolutionnaires) jusqu’au dernier, voilà ton devoir »
Le député Francastel ordonne au général Grignon : « Tu feras trembler les brigands, auxquels il ne faut faire aucun quartier ; nos prisons regorgent des prisonniers en Vendée : Il faut achever la transformation de ce pays en désert. Point de mollesse ni de grâce... Ce sont les vues de la Convention... Je le jure : la Vendée sera dépeuplée. »
Ce même général Grignon motivera les soldats de sa colonne infernale par ces mots : « Mes camarades, nous entrons dans le pays insurgé, je vous donne l'ordre exprès de livrer aux flammes tout ce qui sera susceptible d'être brûlé et de passer au fil de la baïonnette tout ce que vous rencontrerez d'habitants sur votre passage. Je sais qu'il peut y avoir quelques patriotes dans ce pays ; c'est égal, nous devons tout sacrifier »
Les commissaires républicains Morel et Carpenty se plaignent des agissements des colonnes infernales à la Convention nationale : « A Montournais, aux Epesses et dans plusieurs autres lieux, le général Amey fait allumer les fours et, lorsqu’ils sont bien chauffés, il y jette les femmes et les enfants. »
Un autre témoignage, à peu près dans les mêmes termes, émane d’un rapport de l’officier de police Gannet : « Amey fait allumer les fours et lorsqu’ils sont bien chauffés, il y jette les femmes et les enfants. Nous lui avons fait des représentations ; il nous a répondu que c’était ainsi que la République voulait faire cuire son pain. D’abord on a condamné à ce genre de mort les femmes brigandes (brigands = insurgés), et nous n’avons trop rien dit ; mais aujourd’hui les cris de ces misérables ont tant diverti les soldats et Turreau qu’ils ont voulu continuer ces plaisirs. Les femelles des royalistes manquant, ils s’adressent aux épouses des vrais patriotes. Déjà, à notre connaissance, vingt-trois ont subi cet horrible supplice et elles n’étaient coupables que d’adorer la nation […] Nous avons voulu interposer notre autorité, les soldats nous ont menacés du même sort. »
Extrait des rapports des généraux républicains qui commandaient les Colonnes :
« Nous en tuons près de 2000 par jour... J'ai fais tué (sic) ce matin 53 femmes, autant d'enfants... J'ai brûlé toutes les maisons et égorgé tous les habitants que j'ai trouvés. Je préfère égorger pour économiser mes munitions...»
Turreau est relevé de ses fonctions en Mai 1794, puis décrété d'arrestation en Septembre. Jugé en Décembre 1795 par un tribunal militaire, il est acquitté à l'unanimité qui juge qu’il n'a fait qu'exécuter les ordres et non qu'il a eu un rôle de premier ordre.
La Vendée ne sera finalement « pacifiée » qu’avec le rappel des généraux la martyrisant et l’arrivée du général Hoche qui fera signer le Traité de La Jaunaye le 17 Février 1795, traité qui accorde aux insurgés l’amnistie, la liberté de culte et la dispense du service militaire.
Pour arriver au but fixé de « nettoyer » la Vendée de ses habitants, différents moyens furent utilisés : épuration par mutilation sexuelle, création du premier camp d’extermination de l’histoire moderne à Noirmoutier, premiers essais de gazage de masse (insuccès, dû au gaz employé et à l’absence de confinement), premières crémations avec les fours à pain et les églises (exemple de l’église des Lucs-sur-Boulogne où furent brûlés vifs 563 villageois), noyades collectives avec les « noyades des galiotes » ou en couples avec les « mariages républicains » dans la Loire, création au Ponts-de-Cé d’ateliers de tannage de peau humaine (peau dont se vêtissent les officiers républicains) et d’extraction de graisse par carbonisation des corps des villageois massacrés à Clisson.
Bien que reconnues pour leur mansuétude vis-à-vis des prisonniers ennemis, les armées vendéennes et chouannes commirent elles aussi plusieurs massacres, comme celui de Machecoul où des bourgeois et des marchands furent assassinés.
Les guerres de Vendée auront fait environ 170 000 morts du côté vendéen (civils comme soldats) et environ 30 000 morts du côté républicain.
Malgré trois différentes propositions de loi par des députés (http://www.assemblee-nationale.fr/14/propositions/pion0607.asp), la République Française refuse toujours de reconnaitre son rôle dans les exterminations de masse, réfutant même parfois leur existence, et se refuse à toute reconnaissance de génocide concernant la Vendée.
Le tableau montre au premier plan une barque dans laquelle des sans-culottes poussent un vieillard et des femmes à demi-nues, à l'arrière-plan, les trois représentants du peuple (Carrier, Pinaud et Grand-maison) et un piquet de soldats, au fond la foule est maintenue par une barrière.Pour plus d'infos :
http://www.culture.gouv.fr/public/mistral/joconde_fr?ACTION=CHERCHER&FIELD_1=REF&VALUE_1=07430003696
https://books.google.fr/books?id=4i19CAAAQBAJ&lpg=PP1&dq=Les%20Colonnes%20infernales%3A%20Violences%20et%20guerre%20civile%20en%20Vend%C3%A9e%20militaire&hl=fr&pg=PP1#v=onepage&q&f=false
https://fr.wikipedia.org/wiki/Noyades_de_Nantes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_de_Vend%C3%A9e
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fusillades_de_Nantes
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Baptiste_Carrier
https://fr.wikipedia.org/wiki/Compagnie_Marat
https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois-Joseph_Westermann
https://fr.wikipedia.org/wiki/Colonnes_infernales
https://fr.wikipedia.org/wiki/Terreur_%28R%C3%A9volution_fran%C3%A7aise%29#La_Terreur_nantaise
https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_de_massacres_de_la_guerre_de_Vend%C3%A9e_et_de_la_Chouannerie
https://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Grignon_%28militaire%29
https://fr.wikipedia.org/wiki/Marie_Pierre_Adrien_Francastel
https://fr.wikipedia.org/wiki/Lazare_Hoche
https://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_La_Jaunaye
https://fr.wikipedia.org/wiki/Arm%C3%A9e_catholique_et_royale_de_Vend%C3%A9e
https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph-Jean-F%C3%A9lix_Aubert
http://www.herodote.net/1793_1795-synthese-520.php
http://www.histoire-pour-tous.fr/histoire-de-france/4119-un-genocide-vendeen-.html
http://www.atlantico.fr/decryptage/genocide-vendee-1793-republicains-chouans-memoricide-reynald-secher-254210.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Vir%C3%A9e_de_Galerne
http://www.lechasseurdhistoire.com/#!La-Terreur-et-les-Noyades-de-Nantes/c1kw6/55bfd6850cf27acb2d902236